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Hourra
27 mars 2005

Elle

Elle attend dans son appartement. Elle l'a envoyé t'accueillir. Elle attend, un peu immobile, et te regarde, intensément, de ses yeux bleus, si bleus.

Son regard te demande, si elle est toujours... Si elle n'a pas trop vieilli. Si les années, et les épreuves ne l'ont pas dégradée.

Tu lui dis, bientôt, après les banalités, en tombant dans leur banquette, qu'elle a l'air 'bien'. Et tu le penses. Mais elle lui demande, elle veut qu'il confirme, parceque, l'autre jour, lui, il avait trouvé que sans doute, elle était fatiguée. Mais non, tu dis qu'elle a l'air d'aller. Alors, sans doute, dit elle, parcequ'elle a fait une heure de yoga auparavant. Et c'est sans doute ça.

Cette fois-ci tu as bien préparé ton coup. Tu ne remues pas le passé. Tu ne parles pas des enfants, de l'ex mari, tu attends. C'est elle qui te questionne, qui te demande, qui te dis que dans ta ville 'vous avez un bon métro'. Et tu te dis que ce 'vous' la situe bien loin, maintenant.

Elle aussi, elle veut revenir vers la mer. Pas là d'où elle vient. L'ex l'attend toujours, et on ne sait trop de quoi il est capable. Alors, ce sera ailleurs. Elle fait un stage pour être libraire. Bonne idée, lui dis-tu, à tout hasard. A la quarantaine, tout le monde se lance dans ce qu'il aurait voulu faire réellement. Elle dit que ce qui la motive vraiment, c'est la passion des livres. Alors, elle veut en vendre, même smicarde à la FNAC, même... ailleurs.

Et puis, oui, elle parle des enfants. Et puis tu te détends. Tous ses enfants lui parlent, maintenant. Le mange-minutes a réparé bien des choses. Même la petite, que son père retournait contre elle, la traitresse, l'infidèle, qui avait fui la maison. Même la petite parle à sa mère. De loin.

Tu as bien fait attention. Tu n'as pas laissé trainer d'adresse, les noms sont abrégés. Même l'e-mail est toujours codé. Pas la peine d'attirer l'ex, ses foudres, sa rancoeur inextinguible.

Elle veut tout savoir, si tu as toujours ta maison, et comment elle est, et tes enfants, un peu, et ta vie, et le pays, là-bas. Elle y passe, parfois, discrètement, furtivement. Elle va voir untel, et untel, sa famille d'amis, ses enfants adoptifs, qui l'accueillent, ici et là.

Elle reparle de votre chef commun.

Elle ne parle pas du reste. De quand tu étais son chef. De ses sourires, de ses larmes, de ses doutes, de ses incertitudes, de son manque de confiance en elle, comme un gouffre gigantesque, qui l'entourait, et l'empêchait d'avancer.

De ce jour, où tu promenais ton chien, à la pause, comme tous les midis, dans ce chemin, et où tu l'as trouvé, qui attendait, et où tu as fait demi-tour, comme tu faisais toujours devant les femmes.

Elle l'a trouvé, lui, et c'est très bien. Vous aviez six enfants à vous deux, et des collections de gouffres autour de vous.

Elle a gardé cette faculté intacte, qui te fascine, et qui est si rare à tes yeux, chez les femmes, de transformer ses rêves en projets, de leur donner forme, de leur donner des moyens, et d'y travailler dur. Déjà, avant que tu la connaisses, elle avait monté un commerce, qui l'a ruinée. Elle qui avait été retirée de l'école en seconde par un père qui ne voyait pas pourquoi une fille irait à l'école, elle voulait s'en sortir, faire de la moto, choisir son homme, monter son commerce.

Mais elle te dit qu'en Décembre, elle devra présenter son mémoire. Et qu'elle a déjà peur. Et que plus le temps passe, et plus elle aura peur de se présenter devant quelqu'un.

Mais qu'importe. Dans un an, elle aura terminé. Lui, il aura son nouveau diplôme. Ils vendront, et ils iront à la mer.

Et l'heure tourne, et tu les embrasses. Et tu pars. Et tu t'aperçois que tu marches, malgré l'heure tardive, et ta semaine épuisante, avec un peu plus d'énergie qu'à l'aller.

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