Lui

Il traine ses deux dernières années avec le sentiment bizarre que l'on a quand on vous dit que vous ne serez pas remplacé à votre départ. En attendant, il continue à compter les poissons dans la mer, pour que les pêcheurs sachent s'ils peuvent encore en pêcher.

Et puis il partira, en Septembre, faire des campagnes, sur les bateaux.

Des bateaux, chez lui, il y en a, tous ne sont pas à elle. Et des tableaux aussi. Il en acheté, ici, ou là, et une fois à une vente aux enchères, quand la succession de son oncle a été vendue, mais forcément, il n'a pas pu tout acheter, et aussi il y a ce paysage de Provence, magnifique, avec ce chemin dans le soleil, et il te dit que souvent, ils se promènent, avec elle, dans ce chemin. Et puis, toujours, des morceaux d'histoire, portraits d'ancêtres, de lieux, histoires, racines...

Quand elle dit qu'elle ne peut plus se promener, avec son genou, fichu, fichu genou, et que ses yeux de mer se remettent à briller, il enchaîne pitrerie sur plaisanterie, parce que les femmes, tu le sais, toi qui ne sais pas séduire, il faut les faire rire, parce que, et tu le comprends bien, ça les rassure, et ça fait passer la douleur.

Il plaisante aussi sur l'alcoool et la nourriture, et la fête, et ses amis, qui semblent innombrables, cohorte silencieuse et bienveillante, qui rôde autour de la maison, et qui les accueillera toujours, dans leurs périples, avec le camping car, qui n'a ni douche, ni WC. Et tu le sais qu'il a tous ces amis, car tu l'as toujours connu avec.

Il sait si bien glisser les plaisanteries dans toute phrase que tu ne saurais en garder une seule en mémoire.

Et puis, quand elle a fini de dire doucement qu'il devrait accepter de déménager près de la mer, maintenant, ou plus tard, elle dit quel soutien il est, qui porte les choses, et monte les escaliers pour elle, et fait les tâches ménagères qui lui font mal.

Et il te parle de musique, et de chorale, et tu retrouves son père, exigeant, qui voulait de la qualité, de la sélection, de l'effort, du respect de l'oeuvre. Il te parle, aussi vite qu'elle, des oeuvres religieuses qui sont les seules valables. Et tu te demandes si maintenant, car tu sais qu'il en croyait en rien, avec l'âge...

Et puis, le lendemain midi, elle te racontera, pour aller au festival de sa ville, comment il passe la nuit dehors avec un ami, une thermos de café, avec du rhum, pour avoir la bonne paire de billets.

En attendant, le lendemain matin, le déjeuner terminé, il te chasse amicalement, et tu ne sais si c'est pour que tu ne sois pas en retard, ou se retrouver seul avec elle avant de partir au travail.